Les «chaînons manquants»

Le Trattato teorico-prattico di Ballo
de Gennaro Magri (1779) dans l'évolution technique de la danse académique aux XVIIIe et XIXe siècles.

Les sujets d'étude :

Notre étude porte sur le Trattato teorico-prattico di Ballo de Gennaro Magri et sa place dans l’évolution de la technique de la danse académique de 1700 à 1830.

Nous traitons donc une période entre la belle danse du règne de Louis XIV et l’apparition de la technique de la danse dite classique, en nous limitant à la danse théâtrale. La spécificité de ce travail consiste à relever les descriptions des pas, à dégager les critères techniques et stylistiques et à les mettre en relation pour comprendre comment la technique de la danse s’est transformée à cette période précise.

Cette étude s’est réalisée en plusieurs étapes : nous avons d’abord traduit en français les chapitres de la première partie du Trattato di Ballo.Puis nous avons sélectionné un certain nombre de traités antérieurs et postérieurs pertinents, dans les limites de la période que nous avons délimitée, et nous avons comparé les chapitres traitant du même sujet.

Pour compléter notre documentation, nous avons procédé à une étude iconographique en relation avec la description des postures, positions, hauteurs de jambes et de bras que contiennent les différents traités. Nous avons aussi réalisé une captation illustrant de façon plus concrète notre interprétation des pas étudiés et de certaines de leurs variantes.

L’équipe de recherche

L’équipe scientifique :

Natalie van Parys, porteuse principale du projet, danseuse, chorégraphe et pédagogue spécialiste du répertoire baroque : traduction du Trattato di Ballo, direction de la recherche, témoignage en tant que chorégraphe d’Hippolyte et Aricie.

Marie-Françoise Bouchon, historienne et auteure de publications sur la période Noverre et le début du XIXe siècle : recherche sur les traités pour l’étude comparative, notamment sur la période 1780-1830, conseil scientifique.

Gloria Giordano, danseuse et spécialiste en danses historiques italiennes et françaises, auteure de publications : révision de la traduction du Trattato di Ballo et recherche pour l’étude comparative, conseil scientifique.

Mickaël Bouffard, docteur en histoire de l’art et spécialiste de l’iconographie des spectacles aux XVIIe et XVIIIe siècles : analyse iconographique, recherche sur les traités pour l’étude comparative, conseil scientifique.

 

L’équipe artistique :

Jean Guizerix, danseur Etoile de l’Opéra de Paris, chorégraphe et pédagogue : participation à l’étude comparative et aux ateliers pédagogiques, témoignage en tant que chorégraphe des Cahiers 1830.

Lena Cederwall Broberg : témoignage en tant que légataire du patrimoine du chorégraphe Ivo Cràmer (Fishermen, la Fille mal gardée).

L’équipe de la captation vidéo :

Natalie van Parys : conception de la captation, interprète.

Cassia Sakarovitch (Shim Sham Production) : réalisatrice de la captation.

Artur Zakirov : interprète.

Marie-Françoise Bouchon, Mickaël Bouffard : conseillers scientifiques.

Historique de la démarche :

Ce projet émane d’une démarche en tant que chorégraphe de Natalie van Parys, initiée dans les années 1990 au sein de la compagnie Ris et Danceries. Les premières analyses de ce traité ont donné lieu à de nombreuses réalisations chorégraphiques lors de productions qui offraient la possibilité de se servir chorégraphiquement du vocabulaire du traité.

L’approfondissement de la connaissance de cette source majeure et la possibilité de commencer, à travers lui, une lecture de l’évolution de la danse dans une période mal définie techniquement ont été les moteurs de ce projet.

Des travaux récents sur l’évolution de la technique entre belle danse et danse classique en France comme aux Etats-Unis, ont grandement contribué à inspirer notre démarche. Il nous a paru important de rassembler une équipe de professionnels de la danse et de chercheurs qui puissent mettre en commun leurs savoirs et leur expérience, pour s’inscrire dans la continuité des travaux effectués jusqu’ici sur la danse ancienne.

Singularité de la recherche :

Qu’est-il advenu de la belle danse avant l’avènement du ballet classique ? Pour répondre à cette question, la recherche sur le Trattato di Ballo s’impose comme indispensable car il est l’unique source détaillée dont nous disposons pour la danse théâtrale dans la période couvrant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il s’agit donc de situer ce traité en établissant des liens entre les différents traités, antérieurs et postérieurs, pour comprendre les étapes d’évolution de la technique. En partant du corpus des sources sélectionnées, nous voyons certains pas de la danse d’Académie apparaître chez Gennaro Magri dont l’existence se prolonge dans les traités du tout début du XIXe siècle.
Ces pas ont-ils été pérennes ? Se sont-ils transformés ? Si oui, comment s’est opérée cette transformation, radicalement ou progressivement ? Retrouve-t-on certaines racines d’une description à une autre ?

Nous avons, parallèlement, porté notre attention sur certains critères de la technique dont il a fallu dessiner les contours. La lecture des traités nous a aidés à les définir en proposant des indications sur le placement du corps, l’en-dehors et l’élévation des jambes, ainsi que des conseils pédagogiques d’ordre technique. Mais les traités sont-ils cohérents entre eux sur ces critères d’exécution ? Pouvons-nous constater des changements sur les qualités demandées aux utilisateurs de cette technique ?

Ces questions, et bien d’autres, nous ont amenés à certaines constatations, parfois inattendues et surprenantes.

Les difficultés rencontrées :

En commençant ce travail, nous avions conscience de l’impact qu’auraient nos parcours différents, nos cultures, nos formations et nos expériences sur les résultats qui s’en dégageraient. Nous avons été attentifs à garder un regard critique et distancié auquel a contribué la variété de nos parcours. Tout au long de cette aventure commune, c’est aussi la richesse des personnalités et la diversité des imaginaires, dans une dynamique positive et constructive, qui a permis des lectures enrichissantes et complémentaires.

La traduction du Trattato di Ballo a soulevé de nombreux problèmes que nous n’ambitionnons pas de résoudre en totalité.

La traduction d’un traité de danse génère la difficulté du passage d’une langue à l’autre, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une langue ancienne. Nous avons été confrontés à un texte aux formulations parfois ardues, imcomplètes et même lacunaires. De plus, le Trattato di Ballo contient des caractéristiques linguistiques particulières, mélangeant les termes français des pas à une adaptation italienne et à des termes italiens propres au traité. Dans tous ces cas de figure, nous avons dû faire des choix.

La seconde difficulté réside dans le passage du texte au mouvement, du langage écrit au langage corporel. Notre démarche a été de privilégier la soumission du texte à l’épreuve du corps par une pratique immédiate qui nous a obligés à émettre des hypothèses d’interprétation qui se sont affinées au fur et à mesure des lectures. C’est toujours avec la plus grande prudence que nous avons formulé nos propositions.

Nous précisons que cette traduction n’est qu’un outil de travail que nous souhaitons partager avec la communauté des danseurs, auquel nous apportons des indications et des remarques d’ordre chorégraphique, fruit de nos réflexions, pour aider à la lecture plus directe de la technique de Gennaro Magri.

L’autre difficulté majeure a été l’écartement de l’espace-temps entre le Trattato di Ballo et les traités en amont et en aval, la seule source contemporaine de Magri étant le Manuscrit de Noverre, présenté par ordre alphabétique des pas et ne contenant que la lettre B.

L’établissement de tableaux comparatifs de pas, qui a pour but d’apporter une vision immédiate et plus synthétique des textes, a aussi soulevé de nombreux problèmes.

Etat de la recherche :

Nous avons constaté qu’une dynamique s’est récemment développée autour du Trattato di Ballo, faisant écho aux travaux qui avaient été effectués ces dernières décennies.

La seule traduction publiée du texte original de Gennaro Magri est encore, à l’heure actuelle, celle de Mary Skeaping, Theoretical and Practical Treatise on Dancing datant de 1988. Elle a donné lieu à des travaux effectués par le chorégraphe suédois Ivo Cramèr, dont nous saluons l’importance.

Aux Etats-Unis et en Angleterre, plusieurs chercheurs se sont intéressés à l’évolution de la danse à la fin du XVIIIe siècle et n’ont pas manqué de se pencher sur l’analyse du Trattato di Ballo. Cette recherche a donné lieu à de nombreuses et riches publications, non seulement sur le traité lui-même, mais sur le processus évolutif du vocabulaire de la danse, à travers des analyses historiques, esthétiques et techniques. Nous pensons particulièrement aux travaux de Sandra Noll Hammond, sans qui ce projet n’aurait pas vu le jour.

Tout récemment en France, grâce au soutien du Centre national de la danse, Guillaume Jablonka et Irène Ginger ont retracé l’identité du ballet-pantomime à travers le Manuscrit dit «Ferrère» d’Auguste Ferrère, et Arianna Fabbricatore a réalisé un important travail sur la danse comique et grotesque à travers « l’interprétation cinétique du Trattato teorico-prattico di Ballo » de Gennaro Magri.
Tous ces travaux et ces publications ont servi de référence aux nôtres.

Public concerné :

Cette étude s’adresse en particulier à la profession, danseurs et chorégraphes, dans le but de mettre à leur disposition un outil de connaissance du patrimoine chorégraphique de la fin du XVIIIe siècle ainsi qu’une base de réflexion et d’inspiration chorégraphique et pédagogique.

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